Portraits et œuvres des principaux penseurs
Le jansénisme fut à la fois une constellation de personnalités et un héritage partagé. Impossible d’en cerner l’histoire sans évoquer ses figures principales, dont l’influence révolutionna bien au-delà des cloîtres de Port-Royal.
Cornelius Jansen, l’inspirateur
Natif d’Acquoy près de Nimègue, Jansen (1585-1638) n’eut guère le temps d’assister à la fortune de ses idées. Formé à Louvain, il fut professeur puis évêque d’Ypres, entretenant une correspondance soutenue avec Jean Duvergier de Hauranne (futur Saint-Cyran). Indépendant à l’égard de Rome, méfiant vis-à-vis des influences espagnoles et jésuites, il meurt de la peste sans jamais avoir mis les pieds en France.
Son Augustinus sera diffusé clandestinement, ses thèses condamnées par cinq bulles papales successives (1653-1713). Il meurt sans héritiers directs, mais sa postérité intellectuelle sera immense.
Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran
Dans l’histoire, Saint-Cyran (1581-1643) occupe la fonction de “directeur” spirituel du mouvement. Ami intime de Jansen à Louvain, il introduit à Port-Royal la discipline du “retour à la pureté” évangélique. Formateur d’un nombre impressionnant de personnalités – Angélique Arnauld, Antoine Arnauld, etc. –, il subit la disgrâce de Richelieu qui l’enferme à Vincennes durant près de deux ans.
Son influence excéda la simple direction monastique : son “petit nombre des élus”, doctrine mystique reprise par ses disciples, imprégna durablement la spiritualité du Grand Siècle (Revue d’histoire de la théologie).
La famille Arnauld : une dynastie janséniste
Il est impossible d’évoquer le jansénisme sans la famille Arnauld, dont les membres, hommes et femmes, furent à la fois théologiens, abbesses, éducatrices :
- Antoine Arnauld (1612-1694), “le Grand Arnauld”, joua un rôle central grâce à ses traités monumentaux – De la fréquente communion (1643), Apologie pour les catholiques (1654) – et ses centaines de lettres, qui constituent la colonne vertébrale de la “science janséniste”.
- Mère Angélique Arnauld (1591-1661), abbesse réformatrice, imposa la réforme de Port-Royal, en fit un modèle d’austérité et d’obéissance, et défenseuse des “Solitaries”.
Leurs adversaires parlent alors de l’“Hydre d’Arnauld”, illustrant la persistance de leur influence malgré répressions, exils, intimidations.
Blaise Pascal : la plume et la pensée
Philosophe, mathématicien, mais aussi polémiste d’exception, Blaise Pascal (1623-1662) incarne l’alliance du génie littéraire et de la rigueur théologique. Converti sous l’influence de ses sœurs, proches des Arnauld, il rédige les Lettres provinciales (1656-1657), brûlot contre la “casuistique” jésuite, chef-d’œuvre de la prose française, dont 3 500 exemplaires furent vendus en un mois, circulant sous le manteau – performance éditoriale remarquable pour l’époque (Classiques des Sciences sociales).
Son Mémorial, expérience mystique fulgurante, fait de Pascal la figure majeure de la quête religieuse moderne, et un défenseur du “cœur” contre la seule “raison”.
Jacqueline Pascal, Le Nain de Tillemont et autres figures
- Jacqueline Pascal (1625-1661) : sœur du philosophe, directrice de conscience et éducatrice, incarne le versant féminin d’une mystique exigeante.
- Lemaistre de Sacy (1613-1684) : traducteur de la Bible, pionnier d’un accès plus large aux textes sacrés, il favorise la diffusion des idées jansénistes jusque dans les hautes sphères de la noblesse et de la bourgeoisie lettrée.
- Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont (1637-1698) : son immense Histoire des empereurs reste une somme documentaire majeure, où l’exigence érudite se conjugue à la piété.